LES ENQUÊTES DU COMMISSAIRE THÉO

 
 
 L’ASSASSINAT DU PÈRE NOËL
 
Le commissariat revêtait des allures de fêtes. Les policiers avaient agrémenté l’accueil de guirlandes, accroché des boules de couleurs au plafond. Un petit sapin embellissait le comptoir d’entrée avec une crèche garnie de santons.
Cette fin de décembre  attendait le Père Noël.
Le commissaire Théo rêvait. Il se souvenait de son enfance. Le sapin enluminé, la joie du matin de Noël lorsqu’il découvrait son cadeau. À l’époque, les enfants recevaient un jouet, de bois bien souvent, et deux ou trois oranges. Dehors la neige tombait sur le jardin de la maison. Un manteau blanc et doux enveloppait les souvenirs du commissaire. Il revoyait le bonhomme de neige construit la veille. Deux morceaux de charbon pour les yeux, une carotte pour la bouche et le balai-paille dans les bras. Il ressemblait plus à une vieille sorcière qu’au Père Noël !
 

       - Commissaire ! hurla une voix.

       - Quoi, que se passe-t-il, répondit Théo en sursautant. Passer de l’enfance à la réalité du moment lui secoua la tête.

C’était Sophie, la jeune lieutenante venue de son île de la Réunion, qui l’interpelait ainsi.

       -On vient de recevoir un coup de fil des pompiers, patron !

  • Oui et alors !
  • Ils ont été appelés en urgence dans un grand magasin du boulevard Haussmann afin de secourir une personne. Cette personne est décédée et d’après eux elle a été empoisonnée. Vous ne devinerez jamais qui est le mort !
  • Non ! Qui est-ce ?
Théo s’attendait au pire. Quelqu’un de connu : Un artiste, un ministre…
  • C’est le Père Noël !
  • Quoi !
  • On a assassiné le Père Noël, commissaire !
Théo resta abasourdi. En un instant son enfance venait de disparaître dans la tourmente du présent. Adieu cadeaux, fêtes de fin d’année. Les enfants n’auront pas de jouets, pensa-t-il. Il se ressaisit :
  • Que s’est-il passé, Sophie ?
  • Selon les pompiers une personne a donné un café au Père Noël. Ce breuvage devait contenir un poison. Le Père Noël est mort rapidement dans d’horribles convulsions d’après les témoins.
  • Cette personne, Sophie, c’était un homme, une femme ?
  • Ils ne savent plus trop. Vous savez, commissaire, les témoins perdent vite la mémoire. Les pompiers ont essayé de savoir, mais rien n’est sûr.
  • On y va. Sophie, vous prévenez une équipe de la scientifique et le médecin légiste. On prend la voiture, pas de trottinette cette fois-ci. Je préviens le Capitaine.
Malgré le gyrophare, la voiture de fonction n’avançait pas vite. Les embouteillages parisiens de fin d’année paralysaient Paris. Théo pensait au père Noël. Comment faisait-il dans les îles ? Il posa la question à Sophie.
  • Chez nous, à la Réunion, nous décorons des conifères qui résistent aux chaleurs. En ce moment c’est l’été austral et les flamboyants sont fleuris.
  • Vous n’avez pas de neige.
  • Non ! commissaire
  • Alors comment  fait-il le Père Noël avec son traineau, il glisse sur le sable ?
Théo s’inquiétait. Un Noël sans neige, c’était déjà dur à avaler, mais un Père Noël et son traineau sur le sable…
  • Mais enfin commissaire, ce n’est qu’une légende pour les enfants !
Le commissaire s’enfonça dans la banquette et bouda. Puisqu’il n’avait plus le droit de croire au père Noël, il s’enferma dans un grand silence.
Lorsqu’ils arrivèrent sur le lieu du crime, les collègues de la scientifique ainsi que le légiste étaient à l’œuvre. Les pompiers tentaient de rassurer les témoins. La violence de la mort du Père Noël se lisait sur son visage déformé par la douleur : bouche tordue, langue énorme, yeux injectés de sang et presque sortis des orbites, la peau rouge. Ses mains, aux doigts déformés, semblaient avoir creusé le sol à la recherche d’un dernier souffle de vie. L’homme avait dû terriblement souffrir. Les témoins, les premiers intervenants pour le secourir, semblaient eux aussi tétanisés par ce qu’ils avaient vu. Plusieurs médecins, celui des pompiers et deux autres venus spontanément de la foule, réconfortaient le personnel et les clients.
  • Il a avalé un poison violent, dit le légiste. Sa fin fut une véritable torture : hémorragie interne, douleurs ventrales, assèchement de la gorge… sa mort a été une délivrance.
Tandis que les policiers relevaient l’identité des témoins traumatisés, Théo regardait le mort. Qui pouvait bien en vouloir au Père Noël ?
Sophie prenait des photos de la scène. Le Père Noël pour faire son travail, avait été installé dans un hall d’entrée du boulevard Haussmann. Il recevait les enfants, écoutait leur désidérata, pendant qu’un photographe professionnel immortalisait la scène. Manque de pot, celui-ci, le photographe, n’avait pas pris la photo de la personne qui avait donné le poison au Père Noël ! Les témoins se contredisaient. Ils n’étaient pas fichus de savoir s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. C’était toujours ainsi avec les témoins, l’un d’eux prétendait, mordicus, qu’il s’agissait d’un autre Père Noël !
  • L’assassinat par poison est, le plus souvent, le fait des femmes. L’histoire est pleine d’empoisonneuses. La tueuse présumée devait porter des gants. Des gants fins, des gants de femme, car comment saisir le gobelet avec des moufles. Chercher la femme, dit Théo.
Le commissaire se réjouissait. Depuis le début des temps, c’était toujours pareil. Il suffisait de relire l’Évangile.
Sophie le tira de sa réjouissance :
  • Et les Borgia et Néron !
  • Bon ! combien de témoins avons-nous ?
  • Cinq, commissaire répondit le capitaine. Je les ai réunis dans une salle loin de la scène du crime. Ils récupèrent. Nous pouvons les interroger. Il y a le photographe, la maman du dernier enfant que le père Noël tenait dans ses bras, trois employées du magasin des collègues du mort.
  • Il travaillait au magasin ?
  • Oui ! exceptionnellement cette année, il avait remplacé à la sauvette une personne d’une société d’intérim. Cet intérimaire est malade.
  • Vous vérifierez cette personne malade, je veux tout savoir d’elle. Après tout, il y a, peut-être, erreur de client.
 
Le cadavre avait été transporté vers l’Institut Médico Légal. Le légiste était persuadé qu’il s’agissait d’un empoisonnement, mais de quelle nature ? Le gobelet qui avait servi pour boire au Père Noël ne présentait aucune empreinte. Il fut emporté pour analyser le poison.
Le capitaine reçut un message du labo pendant qu’ils interrogeaient les témoins. L’analyse confirma qu’il s’agissait d’un poison. Plus précisément un mélange de mort-aux-rats et d’atropine. Le commissaire regardait son adjoint tripoter une sorte de téléphone portable :
  • Que faites-vous ?
  • Je recherche sur Internet, avec ma tablette, des renseignements concernant les poisons. L’atropine est une toxine extraite de la belladone. Elle a été mixée avec de la mort-aux-rats, un produit de jardinier que l’on trouve dans les étalages de produits de jardinage. Quant à l’atropine extraite de la plante belladone, le tueur a dû préparer une infusion de feuilles à haute dose. Il s’agit d’un poison très violent. Les baies de belladone sont fréquemment confondues avec celles de la myrtille ou du cassis.
  • Bien il faut rechercher l’endroit où l’on peut se procurer des feuilles de belladone, capitaine vous vous en occuper. Vous Sophie interroger les témoins. Récupérez aussi les appareils numériques et téléphones portables, peut-être que l’assassin a été pris en photo ?
 
Le lendemain matin, le commissaire réunit son équipe.
  • L’analyse du corps confirme celle du labo. Nous avons une photo du coupable, nous savons qui sait !
  • Qui ? interrogèrent simultanément ses deux adjoints.
  • Un autre Père Noël, répondit Théo, mais habillé de telle sorte que l’on ne voit rien de son visage. Il avait pris soin de mettre une capuche sur la tête et de la tourner au moment de la photo. Il portait des gants fins. Pas de lunettes ni de souliers reconnaissables.
  • Sophie, vous pourrez restituer les appareils et téléphones. Les témoins n’ont rien vu. Et vous capitaine vous savez où on peut se procurer cette plante ?
  • Nous avons sur la capitale une vingtaine d’herboristeries dont deux ou trois dans le périmètre du magasin. L’une  se situe vers la place Clichy, j’ai téléphoné ce matin. L’herboriste vend bien des feuilles séchées de belladone. Sa dernière vente date d’une semaine environ. Il se souvient de l’avoir vendu à un homme qui l’a intrigué. En effet celui-ci lui a posé des tas de questions sur les doses à ne pas dépasser, sur les risques d’empoisonnement. Il disait suivre un traitement antidouleur. J’ai envoyé un spécialiste chez le vendeur pour établir un portrait-robot de l’acheteur. Nous avons aussi place de Clichy une grande surface de bricolage qui vend des produits pour jardinage. Ce magasin propose plusieurs variétés de mort-aux-rats.
  • Bien ! dès que nous aurons le portrait-robot nous le présenterons aux vendeurs de ce dernier magasin.
  • L’homme qui est mort avait quarante-deux ans, en instance de divorce, sans enfant. Sa femme ne travaille pas au même endroit. Elle est fonctionnaire à la Sécu, avança Sophie.
  • Pour quelle raison ce divorce ?
  • Je ne sais pas, mais je vais contacter les avocats des deux parties.
 
Le lendemain la lieutenante informa le commissaire et le capitaine que l’épouse du mort demandait le divorce pour violences conjugales. En effet le dossier de son époux paraissait accablant : plusieurs plaintes, plusieurs interventions des voisins, de la police… Bref le personnage apparaissait sous un jour plutôt sombre. Bien sûr j’ai vérifié l’alibi de la femme. Elle est hors de cause. Ses collègues de travail sont formels : elle ne s’est pas absentée de son boulot, elle a même mangé un casse-croute sur place, à midi, avec deux de ces collègues.
Nous avons, enchaîna le capitaine, un portrait-robot de l’homme qui a acheté des feuilles de belladone. Son visage parait très fatigué, malade. Avec trois autres inspecteurs, nous avons téléphoné aux médecins du quartier de la place Clichy. Nous avons un résultat et une adresse : un docteur soigne un client en phase terminale d’un cancer dont les douleurs deviennent, de jour en jour, insupportables. Ils ont discuté de l’atropine que l’on extrait de cette plante : la belladone.
  • Quel est son nom ?
  • Pierre Maheux, 57 ans, retraité.
  • On va voir ce monsieur.
 
Les trois policiers se rendirent à l’adresse indiquée, rue des Dames près de la place Clichy. Le suspect habitait un  appartement au deuxième étage d’un immeuble. Le capitaine sonna. On entendit des pas trainants, puis la porte s’ouvrit. Un homme apparut en peignoir et savates. Le visage d’une grande pâleur montrait un homme au bord de la fin.
  • Police ! dit le capitaine, un peu gêné, on peut entrer.
L’homme les fit entrer puis s’assit sur un fauteuil, exténué de l’effort fait
  • Vous utilisez des feuilles de belladone, demanda Théo.
  • Oui, je suis en phase terminale d’un cancer dont les douleurs ne cessent de tourmenter mon corps. Les médicaments du marché ne peuvent atténuer cette souffrance. Ce n’est pas un délit, je pense.
  • Non !
  • Alors, pourquoi venir à trois policiers ?
  • Connaissez-vous cet homme ? Sophie lui montrait la photographie du mort.
 
  • Non ! Pourquoi, réussit à gémir le malade.
Les trois policiers n’insistèrent pas. Devant tant de détresse, ils préférèrent quitter l’appartement.
 
  • Je suis sûr qu’il connaissait le mort, avança Sophie.
  • Comment ça ?
  • Vous auriez vu ses yeux, patron ! et puis il a à peine regardé et sourit d’une sorte de rictus de satisfaction.
  • Vous divaguer Sophie. Cet individu souffre tout simplement.
 
De retour au commissariat, ils se mirent à étudier les comptes-rendus des témoins, des pompiers, du médecin légiste. Rien !
L’assassinat du Père Noël par un autre Père Noël, ne relevait-il pas d’une autre instance ? se demandait le commissaire. Par exemple une intervention divine ou bien celle d’une fée amoureuse du Père Noël et contrariée ! Un règlement de compte de conte !
 Théo fut brutalement tiré de ses pensées.
 
       -  Commissaire !
 
       -  Quoi ! C’était Sophie qui hurlait à ses oreilles.
 Regardez ! les papiers de demande de divorce que nous a remis l’avocat de la femme. Le nom de jeune fille de l’épouse, commissaire : elle s’appelle Nicole Maheux. Le même nom que l’homme malade. Je téléphone à l’état-civil de la mairie de naissance.
 
L’affaire prenait une autre tournure. Une tournure plus terre à terre, pensait Théo.
Le télex leur fournit l’acte de mariage de la femme. Elle avait un frère, témoin de son union : il s’appelle Maheux Pierre.
 
  • On y retourne !
 
Lorsqu’ils arrivèrent rue des Dames, devant l’immeuble, une ambulance quittait le bord du trottoir. Ils cavalèrent jusqu’à l’appartement et sonnèrent, tambourinèrent à la porte.
 
  • Pas la peine de faire tant de bruit, dit un voisin qui venait d’entrebâiller sa porte, il vient de partir vers l’hôpital en ambulance. C’est la fin de son histoire.
 
  • On ouvre la porte dit Théo.
 
Muni d’un passe-partout, le capitaine s’attaqua à l’huis. Au bout de plusieurs tentatives, la porte s’ouvrit. Les policiers fouillèrent les pièces.
 
  • Tenez ! dit le capitaine en montrant des habits de Père Noël.
 
  • Nous avons, aussi un sachet de mort-aux-rats renchérit le commissaire, qui prit son téléphone et appela la juge d’instruction chargée du dossier.
 
  • Madame la juge nous demande d’aller voir l’homme à l’hôpital. Quelqu’un a relevé le nom de la société d’ambulance ?
 
  • Oui ! j’ai noté le nom, répondit le capitaine qui, déjà, cherchait dans sa tablette le siège social de l’entreprise. Je l’ai ainsi qu’un numéro de téléphone, j’appelle.
 
Quelques minutes plus tard, ils surent à quel hôpital venait d’être transporté le suspect. Ils s’y rendirent.
L’homme était dans une chambre individuelle. Il somnolait abruti par les médicaments injectés, à hautes doses, par un goutte-à-goutte. Le médecin était formel : il ne finirait pas la semaine. Nous étions lundi, de plus continua t-il, il est intransportable.
 
Le malade sourit en les voyant entrer.son dernier sourire, pensa Théo.
 
  • Je vous ai bien eu, murmura t-il. J’ai tué cette ordure, car il rendait à ma sœur une vie inhumaine. Malgré les plaintes, les juges ne faisaient rien, les policiers rigolaient. Il s’endormit sur ces paroles, heureux sembla-t-il aux policiers qui partirent. La juge avait dit à Théo que vu l’état du coupable, l’affaire était close.
 
Au fond le commissaire était satisfait de l’issue. La sœur retrouverait une existence normale, sans crainte du lendemain. Elle n’aurait pas à engraisser des avocats pour son divorce. Puis la justice était rendue et bien rendue. Les femmes battues sont rarement crues, défendues. La justice traine, les avocats se sucrent et le calvaire continu. Quant aux sanctions elles sont bien souvent insignifiantes. Beaucoup de femmes battues succombent sous la violence de l’époux, trop souvent les médecins, complices, ferment les yeux et signe l’acte de décès.
Une justice posthume pensa Théo qui sourit en pensant à Noël !
 
 



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