LES ENQUÊTES DU COMMISSAIRE THÉO

 
 
 C’est vers huit heures que le commissariat fut informé d’un crime. Une personne, affolée, venait de téléphoner à police secours. Il s’agissait d’un habitant d’un immeuble, rue Pavée, dans le Marais. En descendant l’escalier, il avait aperçu un de ses voisins qui gisait, la gorge tranchée. Le commissaire Théo, la lieutenante Sophie et le capitaine Christophe ainsi qu’une équipe de la scientifique se rendirent sur le lieu du crime.
Nous étions début janvier. Ce lundi, la journée se présentait clémente, ensoleillée. La neige qui recouvrait la capitale depuis plusieurs jours fondait. Les rues du quartier se remplissaient de touristes. Rue Pavée, les véhicules de la police stoppèrent. Allongée sur le dos contre les marches, la victime n’était pas belle à voir :
  • Voilà un bel abreuvoir à mouches, soupira Théo.
  • Comment ça suffoqua la lieutenante !
  • Une plaie béante si vous préférez Sophie.
Le médecin s’affairait. Les techniciens en scène de crime se mirent au travail. Il s’agissait de récolter des indices souvent invisibles à l’œil nu.  L’un d’eux prélevait des échantillons de sang, celui de la victime et, peut-être avec de la chance, celui du tueur qui aurait pu se blesser en manipulant son arme. Un autre prenait des photographies.
 Le légiste mesurait la température du corps. Il se releva et dit à Théo :
  • La mort remonte à ce matin, vers sept heures peut-être. Il a été assassiné dans l’escalier, par-derrière. Le tueur lui a certainement bloqué la bouche avec un chiffon ou des gants pour éviter les hurlements. Il n’a pas eu le loisir de se défendre. Les fibres de tissus récoltés te donneront le détail. La mort fut rapide. L’assassin a agi rapidement, il devait être planqué dans ce recoin. Le médecin montrait un renfoncement dans lequel une personne pouvait se cacher. Voilà pour l’instant, après l’autopsie nous en saurons un peu plus.
  • Christophe vous vous occuper du voisinage avec une équipe d’inspecteurs. Qu’ils fouillent les poubelles à la recherche d’une arme, un couteau vraisemblablement et d’un tissu maculé de sang ou des gants. Avec Sophie nous allons voir le gérant du magasin qui a découvert le corps.
Théo et Sophie descendirent et sortirent de l’immeuble pour pénétrer dans la boutique. C’était une librairie de livres d’occasion aménagée dans une pièce voutée. Les tables croulaient sous des centaines de livres empilés, la plupart  traitaient de l’homosexualité
  • Nous pénétrons dans l’antre des jaquettes flottantes, murmura Théo à Sophie qui prit un visage ahuri.
  • Des homos si vous préférez !
L’homme arriva d’une pièce voisine et les regarda. C’était un bel homme, grand, crâne rasé. Théo sortit sa carte de flic et lui demanda si c’était bien lui qui avait découvert le corps.
  • Oui, j’ai quitté mon appartement vers sept heures quinze. J’ouvre mon commerce à sept heures trente, mon compagnon sort plus tard vers huit heures. La cage d’escalier sentait bon le parfum, du Nina Ricci, je crois. Je me suis dit : il y a une femelle dans l’immeuble, j’étais outré ! Dans cet immeuble il n’y a, d’habitude, que des mâles.
  • Vous connaissez le mort ? demanda Sophie, les joues rosies par les propos exprimés.
-       Bien sûr, c’est un voisin de palier du quatrième étage. Il travaille dans un bar homo. C’est terrible ce qui vient d’arriver. Il devait se marier d’ici quelques mois avec son ami.
Théo était un peu scotché en entendant l’homme parler ainsi. Nous étions loin de l’époque où les homos se cachaient de peur des représailles. Aujourd’hui la nouvelle loi sur le mariage pour tous, malgré certaines réactions et interrogations, apaiserait un peu plus la société.
-           Avez-vous l’adresse de son ami, demanda Sophie.
  • Non ! mais demandez au bar où travaillait Léopold, c’est le prénom du mort, le patron les connait tous les deux. Le bar s’intitule « au mâle heureux»
Ils se rendirent au bar indiqué. Le patron au courant de l’assassinat de son employé s’empressa de donner le numéro de téléphone et l’adresse de l’ami de Léopold ainsi que le nom.
  • Un crime contre les homos, affirma-t-il péremptoire au commissaire.
Théo ne croyait pas à un crime homophobe. Le fait même d’avoir tué Léopold dans son immeuble, à l’heure de sa prise de travail et avec un linge pour étouffer ses cris, supposait un crime prémédité, bien préparée et non une pulsion de haine brutale.
  • Vous convoquerez l’ami de Léopold au commissariat pour demain Sophie.
Christophe, le capitaine, n’avait rien de neuf à signaler, sauf l’adresse des parents du défunt. Les autres enquêteurs revenaient bredouilles de l’enquête de voisinage. La fouille des poubelles du quartier s’avérait infructueuse. L’arme et le bâillon emportés par le tueur confirmaient le crime prémédité. Ils rentrèrent au commissariat.
  • J’appelle les parents pour les mettre au courant, dit Théo.
Triste corvée que d’avertir les proches de la mort tragique de l’un des leurs, mais nécessaire. Peut-être obtiendrait-il un renseignement lui permettant d’orienter l’enquête. La mère s’effondra. Le père promit de venir le plus vite possible au commissariat. Ils habitaient Fontainebleau, dans la région parisienne.
Théo méditait. Que des gens de même sexe vivent ensemble ne le perturbait pas. Après tout la recherche de l’amour est un acte fondateur des sociétés humaines. Le commissaire ne rejetait pas l’homosexualité. Lui-même, avait, depuis longtemps, accroché son cœur au clou comme un vieux vêtement déchiré, inutile. Et puis il gardait son secret. Un secret qui le taraudait.
 
Dix-neuf heures, il décida de s’en jeter un à la brasserie d’en face. Demain sera un autre jour se disait-il devant son verre de pastis. Théo était morose, ce meurtre lui rappelait trop de souvenirs qu’il tentait, depuis l’enfance, d’enfouir au plus profond de lui.
  • Tiens ! dit-il au serveur, rhabille-moi donc le petit s’il te plait.
Le lendemain le commissaire retrouva son équipe et l’enquête. Ils reçurent l’ami de Léopold. Un homme dont les yeux cernés dénotaient une grande souffrance.
  • Vous vous connaissiez depuis longtemps demanda Théo ?
  • Depuis plus d’un an, nous nous sommes fréquentés pratiquement à ma date d’entrée au bar comme barman. Léopold avait auparavant été en concubinage  avec un autre pendant plusieurs années.
  • Vous connaissez le nom de cet individu ?
  • Oui ! commissaire. Il est au Père-Lachaise.
  • Quoi ?
  • Mort et enterré suite à un accident de la circulation routière.
  • Et vous, avant cette rencontre ?
  • Oh ! moi j’étais marié avec une femme puis nous avons divorcé. Très rapidement je me suis aperçu que je repoussai celle-ci. L’amour devenait une corvée. Elle l’a aussi très vite ressenti. Mon attirance penchait vers l’autre sexe. Nous avons eu deux enfants.
Théo se taisait. Il savait d’après l’article d’une revue que ce cas existait plus souvent qu’on l’imaginait. Être à voile et à vapeur comblait la vie d’un grand nombre d’humains.
  • Vous aviez des ennemis demanda, Christophe 
  • A priori non. Mais vous connaissez la haine que suscite encore l’homosexualité. La bataille pour le mariage pour tous ravive les peurs, les phobies, la violence. Le regard des gens sur nous autres est très significatif d’un rejet social. Parfois la famille n’accepte pas. Tenez pour Léopold, le père vomissait son homosexualité. Léopold me l’avouait, il en pleurait. Adolescent déjà son père lui en tenait rigueur. L’idéologie a forgé des siècles d’obscurantismes, pas simple de changer les choses…
Le mariage pour tous était-il une bonne solution  ou bien le prétexte à de futurs problèmes : divorce, garde des enfants, pension, partage des biens ? Les baveux avaient du travail devant eux et du fric à récupérer. Théo se demandait si cette loi n’avait pas d’autre but qu’engraisser les avocats…
C’est dans l’après-midi, vers quatorze heures, que les parents de Léopold arrivèrent. La mère paraissait abattue, recroquevillée sur elle-même. Le père semblait froid, distant, peu enclin aux émotions.
  • Vous étiez où lundi matin ? demanda Christophe.
  • Chez nous répondit l’homme d’un ton péremptoire. Ma femme à la maison et moi à travailler dans mon jardin.
  • Vous travailler l’hiver dans votre jardin ? Il n’y a pas grand-chose à faire en hiver dans un jardin surtout par un froid pareil !
La question posée dérouta l’homme qui se reprit aussitôt et répondit sèchement :
  • Il y a toujours à bricoler dans un jardin !
La femme ne disait rien. Elle laissait parler son mari. Elle n’était déjà plus là, mais dans un autre monde, celui de son fils.
  • Vous n’appréciez pas l’homosexualité de votre fils monsieur, interrogea Sophie.
L’homme s’empourpra et fit un effort sur lui-même pour se contenir et répondre calmement :
  • Non ! pour moi cet état de choses est une déviance de la nature, ce n’est pas normal.
La femme éclata en sanglots. Théo se renfrogna. Il n’aimait pas ça. Combien de gosses ainsi rejetés, parce que différents ? Rejeté par les autres enfants, par l’entourage, par un des parents ou les deux…
L’homme reprit :
  • Bon maintenant je souhaite me rendre au logement de Léopold pour mettre de l’ordre. Nous sommes ses seuls héritiers.
  • On va vous y conduire, lui dit Théo. Sophie va vous accompagner, car l’appartement fait partie de la scène du crime pour l’instant.
Les parents et Sophie partirent, le commissaire ruminait dans son bureau. Cette enquête perturbait Théo. Il se souvenait de ce lieu tragique où sous le vernis de l’homme se cache l’animal. Jour marqué à jamais dans sa mémoire. Dans cette colonie de vacances religieuse, l’été dans la montagne apparaissait tel un paradis. Un avant-gout en attendant celui de l’évangile. À l’époque Théo croyait. Ses parents envisageaient le séminaire. Mais voilà, un représentant de dieu sur terre par un acte impie, brutal, le détourna du chemin tracé.
Il ne savait plus trop, Théo, qui il était depuis ce jour.
Le téléphone sonna et tira le commissaire des troubles de son enfance.
  • Patron  un individu veut vous parler concernant l’enquête du Marais !
  • Je prends dit Théo au standardiste.
  • Bonjour monsieur le policier, je suis un commerçant de la rue Pavée, presque en face de l’immeuble du crime. Je viens de voir trois personnes entrées dans l’immeuble, deux femmes et un homme. L’homme je l’ai reconnu, il était là le jour du crime et le matin de bonne heure. J’ouvre ma boutique vers sept heures.
Après avoir relevé l’adresse et le nom du témoin, Théo réfléchit. La mère, le père avec Sophie venaient d’arriver dans l’immeuble. C’était donc le père qui était ainsi désigné. Théo appela le juge d’instruction chargé de l’enquête et lui demanda l’autorisation de perquisitionner au domicile des parents ainsi que dans le jardin. Théo soupçonnait le père d’avoir caché l’arme du crime dans le jardin. Il chargea ses homologues de Fontainebleau de la perquisition.
Lorsque Sophie revint, il l’informa des derniers rebondissements.
  • Ils sont repartis à Fontainebleau, je les ai accompagnés à la gare de Paris Lyon.
  • Ils vont êtres surpris de l’accueil chez eux par nos collègues ! nous allons attendre le résultat des recherches.
Hélas ! La perquisition au domicile des parents de Léopold ne donna rien. Théo râlait, dépité, mais après tout le père avait eu largement le temps de jeter l’arme du crime et le bâillon n’importe où. L’autopsie ne donna rien de plus et l’analyse des fibres de tissu prélevées sur la bouche du mort confirma ce que l’on savait : Léopold avait bien été étouffé par un linge, une écharpe très certainement. Le sang n’appartenait qu’à Léopold. La police était dans l’impasse et Théo n’aimait pas ça !
      -    Nous allons convoquer à nouveau les parents !
Vers dix-sept heures, les parents de Léopold étaient de retour au commissariat, mais, cette fois, accompagnés par un inspecteur du commissariat de Fontainebleau.
Ils furent interrogés séparément. Derrière la vitre de la salle d’interrogatoire, Théo, regardait se dérouler celle du père. Sophie menait le bal ! Le père faisait la gueule. Qu’une femme commande, l’irritait, l’infériorisait. Théo comptait là-dessus pour qu’il  avoue.
Il reconnut être sur Paris la veille du meurtre, avoir logé à l’hôtel dont il donna le nom. Avant de rejoindre Fontainebleau, il s’était bien rendu chez son fil pour le persuader de renoncer à son homosexualité. La discussion tourna rapidement à l’incompréhension. Il partit furieux, laissant son fils vivant !
  • Je n’ai pas voulu vous le dire, vous m’auriez soupçonné illico. Je peux même affirmer qu’après avoir claqué la porte, une odeur de parfum a pris mes narines. J’ai éternué plusieurs fois. Ces pédales ils se parfument comme des Gonzesses !
L’affaire se compliquait. La femme confirma l’absence de son mari le dimanche et la nuit ainsi que son retour le lundi matin. Elle prétendit avoir téléphoné à son fils lundi matin très tôt, car elle savait qu’il se levait de bonne heure. Son fils lui raconta que son père venait de le quitter en colère pour gagner la gare de Paris Lyon et attraper le train de 7 h 04.
Après vérification auprès de l’opérateur téléphonique, les policiers eurent confirmation des dires de la mère de Léopold. La SNCF confirma l’horaire du train et sa programmation le jour dit.
L’affaire se corsait.
  • Sophie, appelez l’ami de Léopold j’ai d’autres questions à lui poser. J’aimerai savoir pourquoi tous les deux ne vivaient pas ensemble pour un couple qui devait s’unir !
  • Oui commissaire.
Quelques minutes plus tard, Sophie revint un peu déboussolée :
  • Commissaire, c’est une femme que j’ai eue au téléphone. Il s’agit de la femme de l’ami de Léopold !
  • Quoi !
  • Oui, elle m’a affirmé qu’ils étaient mariés et qu’ils vivaient ensemble.
  • Prévenez Christophe, on y va tous les trois. Nom de dieu de nom de dieu de bordel de merde, qu’est-ce que cela veut dire explosa Théo!
Lorsqu’ils arrivèrent dans l’appartement, la femme les attendait. Une belle femme bien habillée. Théo remarqua le parfum qui émanait de son corps. L’homme, assis sur une chaise, paraissait pitoyable. Théo attaqua très vite, il était furax !
  • Vous vous êtes bien foutu de nous avec votre histoire de futur mariage entre vous et Léopold !
  •  Non ! marmonna l’homme. Je suis pris entre deux feux. Ma femme refuse le divorce à cause des enfants et j’aime sincèrement Léopold. Je voulais vivre avec lui. Ma femme le savait, mais lui ne savait pas que j’étais marié et les problèmes que je rencontrais avec mon épouse. La femme ne disait rien. Elle écoutait puis, froide, lui dit :
  •  Tu n’es qu’un pédé ! Tu n’assumes pas ton mariage ni les enfants que tu m’as faits.
  • Qui a tué Léopold, interrompit Théo ?
  • C’est moi dit l’homme. Il fallait bien que je mette un terme à cette ambigüité. Je suis un pauvre type.
  • Où est l’arme du crime ?
  • Je ne sais plus. J’ai dû la jeter dans une poubelle dans une rue derrière chez moi.
  • Madame votre parfum, c’est du Nina Ricci ?
  • Oui ! commissaire, je vois que vous êtes un connaisseur.
Les policiers ne retrouvèrent ni arme ni tissu taché de sang dans l’appartement. L’homme persista dans ses aveux. Théo semblait incrédule.
  • Ce n’est pas vous le tueur lui dit-il. Quelle personne protégez-vous et pourquoi ?
  • Vous avez mes aveux commissaire, ne cherchez pas plus loin. C’est la première fois de ma vie que j’assume quelque chose. C’est mieux pour tous : ma femme, mes enfants, les parents de Léopold.
 
Théo comprenait. Il connaissait le véritable assassin, mais sans sa dénonciation il ne pouvait rien faire et il savait que cette personne ne se dénoncerait pas.
Comme preuve il ne possédait que l’odeur d’un parfum ! Aucun tribunal, aucun juge ne suivraient !
Le mariage pour tous venait de connaitre son premier crime et sa première erreur judiciaire…
 
 



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