LES ENQUÊTES DU COMMISSAIRE THÉO

 
 
 La police judiciaire du 17e arrondissement de Paris, prévenue par la brigade des pompiers, s’était rendue dans un appartement dans lequel gisait un vieil homme décédé.
Tout laissait penser à un suicide. Le corps dans un fauteuil et le fusil au pied de ce dernier. La porte fermée à clef, pas d’effraction, pas de vol. Bref un suicide classique. Mais quelque chose avait attiré l’attention du médecin des pompiers. C’est pour cela que la police venait d’arrivée.
Lorsque le commissaire et son adjoint pénétrèrent dans l’appartement, deux sapeurs  les attendaient. Ils n’avaient rien touché sur ordre du médecin. Ce dernier expliqua au commissaire sa suspicion.
  • cela ressemble à un suicide. Un vieil homme qui en à ras le bol de l’existence et qui met un terme à sa vie. Mais en examinant le corps et plus particulièrement la main et le bras gauche, je me suis aperçu que le mort était atteint de rhumatismes sévères et handicapants. Ces rhumatismes empêchent l’individu de tenir quoi que ce soit et ses doigts ne peuvent avoir la force d’appuyer la gâchette de l’arme.
Les deux policiers examinèrent la main et le bras gauche, le côté où était tombée l’arme. En effet la main et le bras gauche, mais aussi ceux de droite montraient des doigts déformés,  peu aptes à saisir ou tenir un objet.
  • Merci docteur dit le commissaire nous prenons l’affaire en mains.
 
Théo, le commissaire, ne dit plus rien. Dans sa tête il méditait. Lui aussi, bientôt, serait un vieil homme. Il se voyait dans son appartement seul à compter les heures, à visionner ses souvenirs. Il n’avait pas d’enfant. Ne s’était jamais marié. La vie de flic ne prédispose pas à créer une famille. Sa famille c’était justement les flics, le commissariat, ses enquêtes…
À cinquante ans passés, il faisait toujours bonne allure avec son un mètre quatre-vingt-cinq et ses quatre-vingts kilos. Certes il devenait bedonnant, mais en imposait toujours.
Théo, de son vrai prénom Théodore était de la vieille école pas comme son adjoint, Christophe, et sa lieutenante stagiaire, Sophie.
Il mesurait, sentait la scène du crime. Il était de ceux qui savent que la police scientifique ne peut rien faire sans indics, sans intuition, sans flics de terrain.
Lui si ! Il pouvait par son instinct, son expérience, son regard. Mais allez donc expliquer tout cela à cette nouvelle génération de policiers.
L’adjoint téléphonait déjà afin d’obtenir une équipe de la police scientifique et un médecin légiste ainsi que plusieurs inspecteurs pour commencer l’enquête de voisinage.
  • Il s’agit d’un crime de maraudeur, avança-t-il.
Le commissaire haussa les épaules et répondit :
  • La porte était fermée, pas d’effraction, pas de vol apparemment, personne n’a touché  à ses radis !
  • Je n’ai pas trouvé de légumes, commissaire !
  • Mais non ! il ne s’agit pas de plantes, mais de blé, d’artiche, de cresson, d’oseille…
Le capitaine arborait une tête incrédule.
  • Je veux parler du pognon non d’une pipe !
L’adjoint piqua un fard et Théo sourit. Décidément, se dit-il, il ne comprend même pas le français. Il est fort pour jacter en anglais, baragouiner des mots étranges, mais pas l’argot !
Ça dépassait le commissaire. Ils ne comprenaient rien ces jeunes. Faut dire que pour Théo tout avait basculé lorsque la jeune Sophie, tout juste stagiaire, avait pris son service en trottinette. Tous les policiers présents ce jour-là s’étaient dilaté la rate, sauf le commissaire qui trouvait cette arrivée peu compatible avec la fonction. Mais bon ! Théo n’avait rien dit. Il gardait sa réprobation au fond de lui, mais n’en pensait pas moins.
Il s’était habitué. On s’habitue à tout comme aux rites culinaires de ses deux adjoints.
D’ailleurs où était-elle Sophie ?
Aux murs de l’appartement cossu étaient suspendus des tableaux de maitres. Sur la bibliothèque de nombreux objets de valeur attiraient le regard. Manifestement l’homme était riche et rien, semblait-il, n’avait été dérobé.
Ils firent le tour du salon, de la cuisine, de la chambre à coucher. Partout un luxe affiché, pas de désordre.
  • Regardez commissaire !
Christophe, le capitaine adjoint, montrait une lettre sur une table basse du salon.
Le commissaire mit ses gants et s’empara de la lettre qu’il lut tout haut. C’était une lettre d’adieu corroborant le suicide. Elle donnait l’adresse d’un fils à prévenir. La lettre était dactylographiée.
  • Curieux dit le commissaire, comment le vieil homme a-t-il pu taper la lettre alors que ses doigts sont pratiquement ankylosés ? Et puis où est la machine à écrire ?
En furetant, le capitaine finit par la trouver dans un placard.
  • C’est surprenant dit-il, d’habitude un type qui va se suicider ne pense pas a ranger la machine à écrire avec laquelle il a consigné ses adieux !
 
Théo sourit et approuva la remarque pertinente. Tout compte fait, se dit-il, son adjoint n’était pas trop mal !
Malgré l’indéniable assassinat du vieux, Théo réfléchissait au suicide. Chez les personnes âgées, le taux de suicide était le plus important de la population, le plus souvent passé sous silence… La société n’aimait pas les vieux et ceux-ci se sentaient rejetés, alors l’idée de mettre fin à leurs jours devenait, pour beaucoup, la seule issue à leur solitude.
Le commissaire se secoua. Il lui fallait reprendre l’enquête, ne pas penser à l’après, à son après.
 
Un voisin avait téléphoné au 17. Il avait entendu un coup de feu. L’homme était resté prudemment chez lui en attendant les secours. Deux policiers en tenue s’étaient présentés à la porte. Ils eurent beau tambouriner, personne n’ouvrit. Ces derniers avaient prévenus les pompiers. Les sapeurs pour pénétrer dans l’appartement situé au deuxième étage grimpèrent à l’échelle et cassèrent une vitre. Le voisin avait téléphoné à la femme de ménage du locataire. Elle était arrivée avec une clé et avait ouvert la porte de l’appartement. Le voisin et la femme de ménage attendaient sur le palier que les policiers les interrogent.
Les techniciens de la scientifique venaient d’investir la pièce. Ils commencèrent les recherches. Le médecin légiste observait le corps. Il finit par conclure :
  • L’homme n’a pas pu se suicider. Il s’agit d’un crime. Je vais examiner le corps au laboratoire.
  • Pas d’empreinte dit un technicien et curieusement, ajouta-t-il, aucune  trace sur la gâchette du fusil !
Le crime était patent. L’assassin pensait avoir maquillé celui-ci en suicide. Grâce aux pompiers ce crime ne resterait pas impuni, se dit le commissaire tout en regardant sa montre.
  • Bigre, s’exclama-t-il, il est bifteck moins vingt. C’est bientôt l’heure de l’apéro et de becter!
Le commissaire avait la fringale. Il avisa une brasserie pas loin du lieu du crime. Un bon steak bien cuit et des frites, la bouteille de rouge à disposition, voilà la vraie vie pensait-il. Ce n’était pas comme cette jeune stagiaire, Sophie, qui se contentait d’une salade et d’un verre d’eau ou comme son adjoint, Christophe, qui déjeunait d’un hamburger, cette espèce d’éponge, et d’une bouteille de coca. Du coca s’esclaffait le commissaire en devenant rouge de colère ! Une bande d’écolos, voilà ce que la direction lui avait donné. Le genre d’individus qui veulent nous faire bouffer des aliments bios et boire de l’eau minérale, l’horreur ! Il ne comprendrait jamais ce monde qui n’était plus le sien.
Mais au fait où était donc Sophie ? À peine avait-il formulé la question qu’un bruit de ferraille le fit sursauter. Sophie venait de freiner brutalement sa trottinette au ras des croquenots de Théo.
  •  Ah ! Vous voilà quand même, dit-il le visage congestionné. Allez voir Christophe qui fait les premières constatations.
Il était encore furibond lorsqu’il poussa la porte de la brasserie. Le commissaire ne retrouva son calme que lorsque coula, dans sa gorge, la première rasade de son pastis.
 
L’après-midi, au commissariat, il retrouva son équipe pour une première réunion sur les éléments récoltés.
  • La femme de ménage est la seule à posséder une clef de l’appartement, cela fait d’elle le principal suspect, entama Sophie.
  • Heu, trop facile, trop visible dit Théo. À moins d’être particulièrement naïve, elle sait qu’elle est la seule à posséder la clef. Et puis pourquoi le tuer puisque rien n’a été dérobé ?
  • J’ai appelé le fils sur son portable. Il prend le train pour venir. Il habite Nice, informa Christophe. J’ai aussi vérifié le compte bancaire du vieux, des sommes importantes ont été virées sur un autre compte, celui de son fils justement. J’ai demandé à nos collègues de Nice d’enquêter sur le fils. À l’énoncer de son nom, l’inspecteur que j’avais au téléphone m’informa qu’il était connu du service pour fréquentation assidue du Casino et ses problèmes d’argent récurrents. Nos collègues nous ont faxé sa photo. Il est bel homme.
  • Il a un accordéon ?
  • Pardon commissaire, mes collègues ne m’ont pas informé s’il jouait d’un instrument de musique !
  • Mais non pardieu, il s’agit d’un casier judiciaire !
  • Bon ! Christophe, vous  continuez vos recherches sur le fils. Demandez aux collègues de Nice de vérifier s’il est venu à Paris par le train et demandez à la gendarmerie de vérifier les péages autoroutiers. Qu’ils montrent sa photo aux agents de la SNCF et à ceux des péages. Vous irez vous-même montrer sa photo auprès des hôteliers du quartier de son père dans le 17e.
  • Vous pensez que c’est lui le coupable demanda, Sophie ?
  • Je le subodore.
Théo avait délibérément tiré un trait sur la femme de ménage. Il ne croyait pas à sa culpabilité. Il hésitait Théo. Il penchait pour le fils, mais se disait qu’au fond le vieil homme, dans un sursaut, avait pu appuyer sur l’arme. La machine à écrire ? Une manie de vieux ! Oui, mais qui avait effacé les empreintes de doigts ?
  • Sophie, vous vérifierez auprès du notaire du vieux qui est couché sur le testament.
Et vérifiez si la femme de ménage a un alibi.
 
Le lendemain, le fils arriva au commissariat. Il ne semblait pas trop souffrir de la mort de son père.
  • Il n’en pouvait plus de la solitude, dit-il.  Il avait ras le bol de la vie. Je ne suis pas étonné de son suicide. À plusieurs reprises, il m’en avait parlé.
  • Vous avez une clef de l’appartement s’enquit Théo ?
  • Oui, bien sûr, il m’arrivait de venir le voir. Au moins une fois par mois. Il me donnait de l’argent. Mon père était riche et il me savait dépensier. Je suis dépendant au jeu.
Le commissaire plissa les yeux. L’individu en faisait trop lui semblait-t-il. Il insistait sur le suicide, sur son accoutumance au jeu.
  • Vous êtes l’unique héritier maintenant.
Ils se séparèrent sur cette phrase. Théo ne voulait pas lui dire que la police ne croyait pas au suicide.
L’homme restait à la disposition de l’enquête. Il logeait dans un hôtel. Le commissaire lui avait affirmé que la police enquêtait par routine.  L’appartement de feu son père restait sous scellés.
 
L’adjoint l’avait rejoint. Rien du côté des hôtels, rien de la gendarmerie. Par contre les collègues de Nice ont interrogé un contrôleur de train. D’après ce dernier, il se souvient de la photo de notre homme. C’était dans le Nice Paris, deux jours avant la mort du vieil homme !
  • Il faut trouver où il a logé.
  • Je m’en occupe.
  • Moi, dit Sophie, j’ai interrogé la femme de ménage, elle été bien chez elle. Elle recevait ce jour là la gardienne de son immeuble qui relevait les compteurs d’eau lorsqu’elle reçu l’appel l’informant de venir d’urgence chez le vieux. La gardienne confirme.
 
Force fut de constater que, au bout de quatre jours de recherche, aucun hôtel ne signala la présence du suspect.
Le commissaire et son équipe tournaient en rond. Rien ne prouvait la culpabilité du fils. Un avocat aurait tôt fait de démontrer l’absurdité de son éventuelle inculpation. D’ailleurs le juge d’instruction refusait de poursuivre tant qu’une preuve tangible ne lui serait donnée.
C’était l’impasse et le fils avait touché l’héritage. Il  s’était empressé de vendre l’appartement, avant de repartir sur Nice. Le commissaire qui soupçonnait le fils d’avoir un complice ou plus précisément une complice sur la place pour le loger, avait obtenu du juge le placement sur écoute de son téléphone. La base de la plupart des crimes tourne autour de deux principales choses : l’argent ou la femme, souvent les deux. Il avait l’argent, ne manquait plus que la femme.
Théo avait vu juste. Le deuxième jour, le téléphone parla ou plutôt de parla pas. Une bonne vingtaine de tentatives sur le téléphone du fils qui ne répondait pas. Et toujours le même numéro qui appelait. Un numéro parisien. Les policiers eurent vite fait de localiser l’appelant. C’était une femme.
Lorsque le commissaire et Sophie se présentèrent à l’appartement de la femme, ils tombèrent sur une furie ! Théo aimait cette colère qui déferlait et lui donnerait le fin mot de l’histoire. Oui elle recevait plusieurs fois par mois le fils. Il lui avait promis le mariage dès qu’il aurait réglé une affaire sur Paris puis ils partiraient en Italie. Oui, cela concernait la vente d’un appartement de feu son père mort depuis plusieurs mois. Mais depuis plusieurs jours le fils ne répondait plus.
Théo avec douceur et une certaine joie lui expliqua qu’elle c’était fait avoir. Qu’elle avait servi de pied-à-terre pour cet homme. Il eut confirmation que la veille  du meurtre, il était dans ses bras.
 
L’arrestation fut rondement menée par la police de Nice. Il se croyait à l’abri de tous soupçons. Il ne s’était pas méfié de la colère de sa maitresse. La préméditation du parricide établie, il risquait la détention à perpète.
Théo lui jubilait, en cherchant la femme il avait trouvé l’assassin du vieil homme. On ne se méfie jamais assez d’une femme trompée pensa Théo en souriant.
 
 
 
 
 
 



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