LES ENQUÊTES DU COMMISSAIRE THÉO

 
 
 MEURTRE AU P.S.
 
Ce fut le directeur de la Direction centrale de la Lutte contre la criminalité et la délinquance financière qui informa le commissaire Théobald dit Théo que le ministre de l’Intérieur lui confiait l’enquête sur l’assassinat d’un député socialiste au siège du P.S. rue Solférino ainsi que la disparition d’une bénévole qui travaillait pour cet élu.
Le directeur avisa, monsieur le commissaire, que ce meurtre était vraisemblablement lié à l’éviction récente du ministre du Budget, Culdesac.
Au fil du temps le nom Solférino, par métonymie,  désignait la direction du P.S.
L’homme gisait, face avant sur le sol. La pièce où se trouvait le corps servait de salle d’archives. Des rangées d’étagères sur crémaillères supportaient des boites d’archive en nombre impressionnant.
Sophie, la jeune lieutenante, au grand dam du commissaire s’était fait remarquer en arrivant en patinette rue Solférino. Vêtue d’un short et d’un chemisier dont l’échancrure invitait aux regards. Son style ne laissait pas indifférent! Elle discutait avec le légiste et prenait des photos de la scène du crime. Christophe lui fouinait dans les rayonnages à la recherche d’un dossier manquant. Celui du ministre démissionnaire, Culdesac, n’apparait nulle part et à la place de la lettre C, un trou de plusieurs boites d’archives enlevées récemment à en juger par la poussière qui marquait leur présence…
Le mort avait été tué par balle. Trois balles dans le dos. Trois petits trous qui avaient mis fin à son existence.
Le tueur était reparti avec son arme en ayant pris soin de récupérer les douilles…
Personne n’avait rien entendu. Un silencieux vraisemblablement, donc un professionnel. Pourtant pour entrer au siège du P.S., il fallait montrer pâte blanche. Un familier, peut-être, maniant le révolver et sans état d’âme. Cela faisait beaucoup de monde, pensait Théo.
Un crime politique comme tant d’autres...
Depuis longtemps, Théo, ne se faisait plus d’illusion sur les hommes et les femmes politiques. À gauche comme à droite, tous les moyens semblaient bons pour accéder au pouvoir et par conséquent à l’argent.
Ce monde est pourri et il me faut le protéger pestait Théo. Il avait envie de dégueuler.
Le premier secrétaire du P.S., une femme, Marlène Plaisir, dont le bureau jouxtait le lieu du drame, n’avait rien entendu, ni rien vu bien sûr ! Son attitude déplut fortement aux policiers. Autoritaire, méprisante, imbue de son égo elle voulait diriger l’enquête ! Elle insinuait que son ami le député et elle insistait sur le terme ami, l’hypocrite, c’était peut-être suicidé ! Il était très dépressif depuis plusieurs mois, disait-elle. Théo explosa et lui répondit sèchement :
 
  • J’ai rarement vu un suicidé se tirer trois balles dans le dos avec un silencieux !
 
  • Vous avez tort de me parler sur ce ton commissaire ! Nous avons des avocats au parti !
 
  • Vos baveux je les emmerde madame, j’ai un meurtre à élucider et quel que soit le coupable je l’arrêterai même s’il s’agit du Pape !
 
Froissée, la première secrétaire s’était enfermée dans son bureau.
 
Théo ne cachait pas son inquiétude sur la suite de son enquête. La pression commençait. La vérité dérangeait. D’autres suggestions amicales suivraient. Il fit venir des journalistes qui poireautaient à l’extérieur. La réalité ne pourra plus être falsifiée. En quelques heures, les réseaux sociaux diffusèrent les premiers éléments de l’enquête. Les journalistes des chaînes nationales  aux ordres du pouvoir gardèrent le silence. Mais les réseaux sociaux sont impitoyables. En une soirée tout le pays et le monde entier surent. Au journal de vingt heures, sur la deux, l’information fut officialisée et reprise en boucle sur les autres chaînes. Les journaleux aux ordres de l’Élysée n’avaient pu faire autrement.
Les responsables du P.S. firent une gueule d’enterrement. Théo respirait. Désormais il ne pourra plus subir d’éventuelles directives bien orchestrées. Même le directeur au ministère ne dit rien. Peut-être était-il, lui aussi, satisfait de l’initiative…
Le lendemain, en filigrane, un journaliste dans le Nouvel Obs. parla d’un complot organisé contre l’ex-ministre du Budget... En vingt-quatre heures, la classe politique bouillonna de rumeurs, de qu’en-dira-t-on, de certitudes qui au fil des heures se révélaient fausses. Les commentateurs politiques s’en donnaient à cœur joie. Moins ils en savaient, plus ils paradaient sur les plateaux de la télévision. Certains depuis trente ou quarante ans pavanaient à la télévision. Ils parlaient depuis toutes ces années sans savoir, en se trompant mais croyant tout savoir !
L’affaire se compliquait. Théo en avait conscience. Le terrain devenait glissant. Derrière l’assassinat du député et l’étrange disparition de l’archiviste bénévole, l’affaire qui avait défrayé la chronique pendant des mois revenait en surface : le ministre Culdesac, poussé vers la sortie pour fraude et qui semblait promu à la plus haute fonction, aurait-il été réellement la victime d’un complot ?
L’homme, politiquement éliminé, dérangeait-il les hautes sphères de son parti ? Il n’appartenait à aucun courant. Pourtant son aura allait bien au-delà des courants étroits, partisans et réducteurs du P.S. il paraissait en fait au regard de l’opinion et d’une majorité des militants et sympathisants socialistes, comme l’homme providentiel pour la gauche : un homme d’avenir appelé à la fonction suprême.
Il posait problème. Il gênait l’actuel président dit « pépère », qui envisageait une deuxième investiture et dont les dirigeants du parti ne voulaient plus. Chacun savait que pour la prochaine échéance présidentielle, il faudrait trouver un nouveau candidat. Le président actuel ne pouvait prétendre représenter la gauche. Il était trop nul.
Culdesac embarrassait les dents longues de certains de ses camarades qui piaffaient à devenir le candidat officiel. Il encombrait l’opposition qui n’avait plus de chef charismatique à lui opposer.
Culdesac était devenu l’homme à abattre, car malgré sa mise à l’écart de la vie politique, il restait le socialiste et l’homme politique le plus populaire du moment.
Le député assassiné était l’un de ses rares fidèles qui lui restait. Il ne s’en était jamais caché. Avaient-ils, lui et la jeune militante, découvert les pièces d’un complot ourdi par la direction du parti ?
Il avait fallu que l’enquête échoue à la section criminelle du commissaire Théo !
La police nageait dans les eaux troubles de la politique. Théo n’aimait pas. D’ailleurs il ne savait pas nager ! L’eau lui inspirait une phobie, une sorte de crainte, sauf dans son pastis !
Théo pensait qu’un jour on retrouverait le cadavre de la jeune militante bénévole à Solferino. Il avait néanmoins lancé la procédure de recherche et tous les commissariats, toutes les gendarmeries avaient sa photographie.
 
Un système de caméra protégeait l’entrée du siège. Les enregistrements furent saisis. Sur ceux-ci, à l’heure supposée du crime définit par le légiste, défilaient des dirigeants du P.S. ce jour était jour de réunion. Toutes ces personnes étaient connues. Rien, en apparence, ne faisait d’elles des assassins. Difficile d’imaginer un criminel parmi ces militants. L’assassin avait-il pénétré par une autre entrée ? Était-il déjà dans les lieux ? Les enregistrements ne donnèrent aucune indication. Une casette révéla que la jeune militante chargée des archives, c’était enfui avec un sac de sport apparemment lourd. À l’image, son visage paraissait paniqué. L’heure de sa fuite correspondait avec l’heure présumée de la mort de l’élu. Théo n’envisageait pas une seule seconde qu’elle fût la tueuse ! Elle avait vu l’assassin et le connaissait, d’où sa fuite précipitée. Où était-elle passée ?
Le commissaire restait persuadé qu’elle se cachait dans Paris. Lourdement chargé, la peur au ventre, que pouvait-elle faire ?
Ou était-ce la peur d’avoir commis l’irréparable, comme le croyait Christophe ?
Soit elle était la meurtrière, soit elle était en danger, car le meurtrier voudrait récupérer les documents incriminants.
  • Il faut, la retrouver illico hurla, le commissaire !
Après recherche auprès du responsable des bénévoles du P.S., la police eut son adresse dans Paris ainsi que l’adresse de ses parents, à Palavas les Flots.
Elle habitait rue de Rome, près de la gare saint Lazare. Théo et Sylvie se rendirent sur les lieux. La concierge possédait un double des clefs. Elle ouvrit. Appartement propre, bien rangé : un lit d’une place, une armoire un frigo, une table et deux chaises. Aucun document, pas même un ordinateur !
La fouille des deux policiers s’avéra infructueuse. La jeune militante semblait avoir une vie lisse, entièrement dévouée à son parti.
Lorsqu’elle avait fui le siège du P.S., la jeune militante n’était pas rentrée chez elle. L’affaire se corsait.
  • Où est-elle passée, fustigea le commissaire.

 

  • Prendre le train suggéra Sophie. Il suffit, depuis Solférino, de prendre le boulevard Saint-Germain et le boulevard Raspail pour arriver à Montparnasse.
Théo mis en branle ses enquêteurs et brigadiers disponibles. Munies d’une photo de la jeune fille ils arpentèrent la gare Montparnasse et la gare de Lyon. Ils interrogèrent vendeurs et contrôleurs en service ce jour-là.
La visite des policiers de Montpellier au domicile des parents n’apporta rien de nouveau. Elle n’était pas chez eux et ils n’avaient aucune nouvelle.
 
Les interrogatoires des élus et dirigeants présents le jour du meurtre prirent une journée. La réunion du bureau avait eu lieue dans une grande salle à trente mètres de la scène du crime. Une vingtaine de personnes en tout pour discuter des suites à donner des manifestations et protestations diverses des opposants au mariage pour tous. Plusieurs députés ouvertement homosexuels ainsi que l’actuel maire de Paris avaient pris part aux discussions. D’après les comptes-rendus des enquêteurs, seulement trois d’entre eux avaient quitté la séance au moment du crime :
- L’une pour les toilettes. L’homme avait un problème de prostate. Tous le savaient et raillaient allègrement la prostate de l’élu !
- Une autre qui était la première secrétaire s’était absentée pour aller chercher un dossier dans son bureau. Une absence de quelques minutes, mais, étrangement, certains des présents ne se souvenaient pas qu’elle soit revenue avec un document !
- La troisième était partie de la réunion pour une autre : un conseil municipal. Il s’agissait du maire de la capitale. D’après la vidéo il ne s’était pas attardé.
 
 
  • J’ai, une information affirma, Christophe, le capitaine.
 
  • Oui !
 
  • Marlène Plaisir a été mariée pendant douze années à un divisionnaire de police ex-chef de service à la D.S.T. aujourd’hui D.C.R.I.
 
  • Et alors ?
 
  • Laissez-moi finir commissaire. C’est une adepte du tir. Elle est inscrite auprès du club sportif du fort de Van de l’école militaire. Elle est très assidue d’après les responsables que j’ai interrogés au téléphone. Elle a pu se procurer une arme à l’époque ou elle était mariée avec ce haut fonctionnaire de police.
 
  • Trouvez-moi ce policier.

 

  • Je sais où il habite, répondit Christophe avec un sourire. Il est au cimetière de Meudon, sa dernière demeure. Abattu mystérieusement par un tueur que l’on recherche encore depuis bientôt quatre ans. On a, au plus haut niveau, soupçonné le divisionnaire de trafic de drogue. Les bœufs-carottes ont enquêté. Mais sa mort a suspendu l’enquête.
 
Désormais Marlène Plaisir, première secrétaire du parti, faisait un suspect potentiel et sérieux. Théo demanda au juge l’autorisation d’effectuer une fouille à son domicile et au siège du P.S. le juge hésita, membre du syndicat de la magistrature et proche du P.S., il n’était pas chaud. Il refusa la perquisition au siège du parti, mais autorisé celle du domicile de la responsable.
Dans un luxueux et vaste appartement du huitième arrondissement de Paris, les policiers perquisitionnèrent. Ils firent main basse sur des dossiers très personnels de Marlène. Dossiers compromettants sur des membres et élus de son parti ! Le chantage fait partie des mœurs des politiciens pensa le commissaire. Ils ne trouvèrent aucun calibre, aucun document sur l’affaire Culdesac.
Les dossiers que possédait Marlène Plaisir furent saisis par la Direction de la police. L’équipe du commissaire n’avait même pas eu le temps d’effectuer des photocopies ! La connivence entre le pouvoir politique, la justice et les hauts fonctionnaires de la place Beauvau n’offrait aucune chance à la vérité. Le ministre de l’Intérieur possédait dorénavant quelques dossiers sur ses « amis » au cas ou…
Les dents s’aiguisent, pensait Théo.
  • Il faut interroger cette Marlène Plaisir !
Le lendemain le commissaire, Sophie et Christophe se retrouvèrent dans le bureau de la première secrétaire. Elle n’était pas seule. Deux célèbres avocats et membres du parti attendaient les policiers. Le juge l’avait prévenu. Théo, lui-même, avait dû informer sa hiérarchie de sa décision d’interroger Marlène Plaisir. Il n’avait pas le choix. Le directeur avait été formel :
  • Vous aimez les armes à feu madame, commença le commissaire.

 

  • Ce n’est pas interdit répondit l’un des avocats. Notre cliente aime le tir comme des millions de nos concitoyens, cela ne fait pas d’eux des assassins.

 

  • Vous avez été marié avec un policier.

 

  • Ce n’est pas une honte, reprit l’avocat. Votre profession est honorable.
Théo savait qu’il n’obtiendrait rien de ce face à face. Le juge avait réitérer son refus de perquisition au siège du P.S.
Les enquêtes de proximités dans les gares Montparnasse et de Lyon, afin de retrouver la piste de la jeune bénévole, ne donna rien elle non plus.
Choux blancs sur toute la ligne. 

Ce fut le lendemain que l’affaire rebondit. Un journal du Sud publia une lettre sibylline de Culdesac de laquelle il ressortait qu’il possédait des documents prouvant son innocence et les preuves d’un complot ourdi contre sa personne.

Dans la matinée, un frémissement secoua les socialistes. Déjà des ralliements au proscrit d’hier, se firent jour.

La menace, à peine voilée, de Culdesac de divulguer certains dossiers, opérait dans le gouvernement et les instances du P.S. au fil de la journée Culdesac était redevenu l’homme providentiel et le président en exercice, dit « pépère » se fendit d’une déclaration dans laquelle Culdesac était porté au pinacle et pressentie pour un poste ministériel lors du prochain remaniement qui ne saurait tarder !

À dix-sept heures, le ministre des Finances donnait sa démission.

À dix-huit heures, on avisa le commissaire que Marlène Plaisir venait de se donner la mort au siège de son parti avec une arme dont le calibre ressemblait étrangement à celui avec lequel le député avait été trucidé. La vérification des scientifiques prouva que c’était bien la même arme qui avait servi. Auparavant, elle avait reçu la visite d’un émissaire de l’Élysée. Elle avait laissé une lettre dans laquelle elle affirmait avoir tué le député par dépit amoureux. Il était son amant. Elle le soupçonnait de le tromper avec cette jeune bénévole. La jalousie avait fait son chemin et creusé la haine et elle était passée à l’acte. Mais elle ne savait pas que ce jour fatidique, la jeune fille en question cachée derrière des rayonnages avait tout vu !

Pas de vagues, pas de remous, l’affaire s’enliserait et les Français avaient d’autres préoccupations : chômage, pouvoir d’achat…

Dans quelques semaines, les journalistes passeraient à autre chose. Le pouvoir les y aiderait, si nécessaire...

À dix-neuf heures, dans une conférence de télé, Culdesac apparut le visage dur, impitoyable. À côté de lui se tenait la jeune militante du parti que le commissaire et son équipe recherchaient.

À dix-neuf heures trente, le juge appela Théo pour lui signifier que l’affaire était close. On avait l’assassin et ce dernier s’était donné la mort, cela suffisait.

À vingt heures, Théo vidait son premier pastis, écœuré par les politiciens et la justice.
 



Créer un site
Créer un site